Le dégoût chez Freud
Jean Luc Monnier
À propos du dégoût, Lacan souligne ceci en 1977 : « La (sexualité) est anormale au sens que j’ai défini : il n’y a pas de rapport sexuel. Freud, c’est-à-dire un cas, a eu le mérite de s’apercevoir que la névrose n’était pas structurellement obsessionnelle, qu’elle était hystérique dans son fond, c’est-à-dire liée au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, qu’il y a des personnes que ça dégoûte, ce qui quand même est un signe, signe positif, que ça les fait vomir. »[1]
Freud repère d’emblée chez Dora l’importance du dégoût dans une situation qui aurait dû plutôt « provoquer » dit-il, « une sensation nette d’excitation sexuelle ». Dora se défend d’une jouissance dont elle éprouve l’appel et le dégoût vient à la place de la satisfaction sexuelle.
Il faudra attendre Malaise dans la civilisation pour que Freud « élève » ce dégoût, à la dignité de la condition humaine. « On croit parfois discerner que la pression civilisatrice ne serait pas seule en cause ; de par sa nature même, la fonction sexuelle se refuserait quant à elle à nous accorder pleine satisfaction et nous contraindrait à suivre d’autres voies. »[2] Il en précise les raisons dans la note qui suit : « Du fait du redressement vertical de l’être humain et de la dévalorisation du sens de l’odorat, non seulement l’érotique anale, mais bien la sexualité tout entière aurait été menacée de succomber au refoulement organique. De là cette résistance autrement inexplicable à la fonction sexuelle…»[3] La traduction de Widerstreben[4] par résistance prête à confusion. Il vaut mieux lire répugnance ou aversion, plus conformes à l’esprit du texte de Freud à cet endroit.
Le dégoût apparaît alors comme la marque de l’a-version de la langue à accueillir la jouissance comme sexuelle, et le sujet hystérique s’en fait le témoin vivant.
Références
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, inédit, citation reprise dans la bibliographie de PIPOL 8, « La clinique hors les normes ».
[2] Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p. 57-58.
[3] Ibid., p. 58.
[4] Freud S., Das Unbehagen in der Kultur, GW, op. XIV, 1930, http://freud-online.de/Texte/PDF/freud_werke_bd14.pdf p. 466.