Freud et le corps

Alan Rowan

Lacan a constamment cherché à théoriser le corps, depuis le corps imaginaire qui fonde l'ego jusqu’au corps pulsionnel, le corps comme un Réel fait de « substance jouissante » et qui est lié au Symbolique de façon contingente. Cependant, d'autres analystes, notamment Mélanie Klein, ont minimisé l'importance du corps au profit d'un mouvement psychologisant dans lequel le corps du nourrisson n'est pensable que par l’expérience qu’il fait du corps de la mère comme objet libidinal introjecté qui, par la voie des objets pulsionnels, sous-tend la première vie fantasmatique du nourrisson. Cela signifie que c'est alors par le biais du fantasme que le corps est saisi et représenté. Dans ce contexte, il vaut la peine de clarifier la pensée de Freud sur ce sujet.

Une référence précoce se trouve dans sa correspondance avec Fliess (juin 1894) qui montre que la psyché et le soma étaient pour Freud des champs indépendants, mais également capables d'interaction :

« Ainsi, dans la névrose d'angoisse, comme dans l'hystérie, il se produit une sorte de « conversion » ... Toutefois dans l'hystérie c'est une excitation psychique qui emprunte une mauvaise voie en menant à des réactions somatiques. Dans la névrose d’angoisse au contraire, c'est une tension physique qui ne peut pas réussir à se décharger psychiquement et qui continue, par conséquent, à demeurer dans le domaine physique. Les deux processus sont extrêmement souvent combinés » (Freud S., « Manuscrit E », juin 1984, Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1973, p.85).

De plus, on peut souligner ici l'importance primordiale que Freud accordait à la sexualité, précisément comme substrat organique, comme pulsion, qu'il définissait comme : « ... un concept-limite entre le psychique et le somatique ... comme mesure de l’exigence de travail qui est exigé au psychique en conséquence de sa liaison au corporel » (Freud S., « Pulsions et destins des pulsions », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1972 p. 18). Ici, la source de la pulsion est toujours un état d'excitation corporelle dans lequel « sur son chemin de sa source à son but, la pulsion devient psychiquement active » (Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1986). On peut en outre noter que l'inconscient - en tant que structure autonome - était précisément ce qui, pour Freud, servait de médiateur entre le corps pulsionnel et la conscience. Une dernière citation : « Il ne fait aucun doute que la libido a des sources somatiques, qu'elle afflue vers l'ego à partir de divers organes et parties du corps... bien qu'en fait, le corps entier soit une zone érogène » (Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 1975).

Traduit par Daniel Roy


Réferences

Freud, S. (1915a). Instincts and their vicissitudes. SE 14

Freud, S. (1933). New Introductory Lectures on Psychoanalysis. SE 22

Freud, S. (1938a). An Outline of Psychoanalysis. SE 23

Freud, S. (1950 [1892-99]). Extracts from the Fliess papers. SE 1