Jalouissance d’avoir et la possibilité d’être (parlé)
Dana Tor
Dans le Séminaire Livre XX, Encore, Lacan évoque le passage des Confessions de Saint Augustin (Livre I chap.7) (1) qui désigne la jalousie de l’enfant regardant son petit frère au sein de sa mère, comme « jalouissance ». De cette image jaillit la « haine jalouse » - un affect initialement défini par Freud (2) - désignant les sentiments de l’enfant envers son imago, son rival dans l’amour de l’Autre. Cette jalouissance produit une satisfaction à partir du sujet comme « celui qui a » (3) ; dans le cas évoqué par saint Augustin, le petit frère est « celui qui a le a », le sein de la mère, mais il est aussi lui-même le a, l’objet de la jouissance de sa mère.
La satisfaction à partir de l’imaginaire dépasse ici la signification comme unité signifiante (4). En tant que telle, elle n’est pas signifiantisée. Le passage que Lacan fait du mot qui tue la chose, au corps dont jouit le signifiant, est du même ordre que le passage de la jouissance phallique à la jouissance féminine. Cette jalouissance imaginaire qui jaillit de l'image naît dans le pré-Œdipe, elle condamne le sujet au ravage et se répète dans le vouloir-avoir le phallus du complexe de castration. C'est une force qui prévaut sur le symbolique, une jalouissance infinie dirigée vers quiconque tente de l'éloigner de la satisfaction, et qui veut toujours plus.
Paradoxalement, le moyen d’obtenir une satisfaction constante, de l’ordre de celle obtenue par le sinthome, est de renoncer à cette satisfaction dépendante de la mère, en acceptant le passage d’avoir le a à être le a.
L'être qui parle est d'abord, et avant tout, un être parlant parce qu'il est parlé. être un être parlant nécessite un mode d'être au langage comme objet du désir dans la chaîne des autres signifiants du désir. Quand quelque chose échoue là, on voit des effets du langage sur un corps qui n'est pas mortifié par le signifiant, et c'est là que se matérialise le symptôme. Joyce a pris ces part non-mortifiées de « lettres-vives », s'inventant lui-même comme un poème, et non comme un poète (5). De cette façon, Joyce peut être lu par d'autres personnes, devenant un signifiant pour d'autres signifiants.
Il faut abandonner la jalouissance du regard et d'avoir l'objet pour permettre l'invention d'un sinthome, une manière d'être regardé par quelqu'un d'autre, devenant ainsi à la fois un être parlé et un être parlant.
Traduit par Dominique Gentès et Daniel Roy
Références
[1] Lacan, J. The Seminar of Jacques Lacan, Book XX: The Limits of Love and Knowledge, trans. Bruce Fink, Norton, 1998, p. 100.
[2] Sigmund, F. “A Child is Being Beaten”, The Standard Edition, Volume XVII: An Infantile Neurosis and Other Works, trans. James Stratchey et al., Hogarth press, 1955, p. 199.
[3] Lacan, J. The Seminar of Jacques Lacan, Book XX: The Limits of Love and Knowledge, trans. Bruce Fink, Norton, 1998, p. 100.
[4] See Stevens, A. “The Bodily Effects of Language” argument for the NLS Congress 2021, available online.
[5] Rephrasing Lacan’s statement in “Preface to the English Edition of Seminar XI”, The Seminar of Jacques Lacan: Book XI: The Four Fundamental Concepts of Psycoanalysis. trans. Alan Sheridan, Norton, 1998.