Leçons d’un séminaire « démodé »

Vlassis Skolidis

Au premier abord, le Séminaire, Livre IV, La Relation d’objet, dont les avancées théoriques constituent une composante majeure de l'enseignement du « premier Lacan », est une référence un peu datée concernant les questions du corps. Mais, il suffit de se rappeler du mode d’accès que J.-A. Miller nous a enseigné, à savoir que la libido y est située au niveau de l’imaginaire, pour que des balises trop connues, telle la soi-disant dévalorisation de l’imaginaire au profit du symbolique, apparaissent sous un jour nouveau.

Prenons par exemple le commentaire de Lacan sur la tentative du petit Hans d’accéder, sous l’impulsion de son père, « à la signification d’un nouveau réel », celui de sa jouissance érectile nouvellement apparue. Lacan pointe que « le réel ne peut être réordonné dans la nouvelle configuration symbolique qu’au prix d’une réactivation de tous les éléments les plus imaginaires. Il se produit une véritable régression imaginaire par rapport au premier abord qu’en fait le sujet »[1]. Cette régression imaginaire consiste d’abord à un foisonnement d’images et de fantasmes, où le petit Hans « apprend comment on peut jouer avec les images »[2]. On retrouve ici la fonction du fantasme comme moyen de jouissance.

Mais Lacan y ajoute autre chose. Cette jouissance imaginaire n’épuise pas la question. Derrière son jouir concernant les images, le petit Hans découvre « qu’il est dans un bain de langage » et qu’il peut exploiter « la faveur précieuse que lui offre le fait de pouvoir parler »[3]. Autrement dit, parallèlement à la mise en place du transfert, le petit bonhomme découvre la jouissance du bla-bla. Au-delà des effets de signification, le sujet humain, le parlêtre, est habité par une autre jouissance, celle du réel de la parole, voire de lalangue. Dans la cure, cette jouissance est voilée derrière la passion du névrosé pour le sens. Elle n’est pas moins insistante pour autant. Et elle ne va pas sans le corps.

Dans ses fantasmes, le petit Hans met en scène son propre corps, ainsi que ceux de ses parents et des petites filles dont sa libido est captive. Des corps nus ou habillés, partis ou revenus, solitaires ou accompagnés, debout ou par terre, au galop ou au repos, angoissés ou sereins. Tout le potentiel pulsionnel du petit garçon se trouve métabolisé à travers cette exploitation d’images corporelles. Sans oublier le corps princeps du cas, celui du cheval dans toutes ses versions : en arrêt, en mouvement, en tumulte, tombant, mordant… Si le cheval est bien ce qui nomme la jouissance du petit Hans, celle-ci ne se laisse pas confiner au pouvoir métaphorique du langage. Un réel non assimilable au sens y insiste : le fameux « noir » devant la bouche du cheval, présentification de l’objet regard irréductible à toute intention de signification.

C’est ce « noir » énigmatique, non inclus dans le grand schéma de la métaphore paternelle ébauché dans ce séminaire, qui rebondira dans une conception lacanienne du corps au-delà de l’imaginaire, ouverte aux chicanes du réel.

Références

[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre IV, La Relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 343.

[2] Id.

[3] Ibid. p. 344.