Effets de trou dans l'inconscient
Perla Miglin
…Todo sucede por primera vez, pero de modo eterno.
El que lee mis palabras está inventándolas (la Dicha, Jorge Luis Borges)
Lors d'une rencontre avec Florencia Shanahan en Israël, alors qu’elle venait d’être nommée Analyste de l'École, elle nous a dit qu'elle avait fait l’expérience qu'il n'y a pas d'Autre de l'Autre, dans le moment où elle parlait avec chacun de ses passeurs. Il est certes bien difficile de saisir dans son discours l’impact de cet effet de la langue sur le corps. Cependant, ce qu'elle a transmis a résonné pour moi comme ces vers qui ferment le poème de Borges que je choisis comme exergue, et qui parviennent à me faire saisir la portée de son dire.
Déjà lors du Congrès précédent sur « L’Interprétation, de la vérité à l'événement », j'avais traité de la question de savoir ce que serait un inconscient analysé. Une phrase de Lacan, dans sa “Lettre pour La Cause freudienne”, écrite en octobre 1980, m’avait un peu éclairé : « Élaborer l'inconscient, comme il se fait dans l'analyse, n'est rien qu'y produire ce trou. Freud lui-même, je le rappelle, en fait état ».
Aujourd’hui, je veux citer deux références de Jacques-Alain Miller plus une de Rose-Paule Vinciguerra pour faire un pas de plus, en lien avec le témoignage de Florencia Shanahan :
1. « On éluderait donc, dans la psychothérapie, ce qui mettrait la toute-puissance de l'Autre en défaut. On préserverait, dans la psychothérapie, la consistance de l’Autre, alors que ce qui serait le propre de la position analytique, qui ouvre à la psychanalyse proprement dite, ce serait déjà, en admettant la question de la jouissance, d’inconsister l'Autre. »[1] (1) Florencia Shanahan en apporte le témoignage dans l’expérience même de sa passe. On se dit alors : « Il fallait le dire ».
2. « Un inconscient analysé se distingue si je puis dire d’un inconscient sauvage, un inconscient analysé a des propriétés singulières, un inconscient plus son élucidation, ça fait qu’on rêve autrement, ça fait qu’on n’est pas soumis aux actes manqués et aux lapsus de tout le monde, ça n’annule certes pas l’inconscient mais ça fait que ses émergences se distinguent.(…) Il me semble néanmoins que si une Écolede psychanalystes a un sens, c’est qu’elle devrait permettre à l’analyste de témoigner de l’inconscient post-analytique, c’est -à-dire de l’inconscient en tant qu’il ne fait pas semblant. »[2]
3. « L’inconscient est structuré comme un langage, le “un” importe aussi. “Un” langage en effet, ce n’est pas “du” langage, (...) Et comment entendre ce comme.Comme, ce n’est pas par, dit Lacan. (...) Ce “comme” souligne un débordement du modèle linguistique par la structure de l’inconscient, réalisant peut-être la subversion que Lacan fait subir à la linguistique (…) À cet égard, il revient à l’interprétation psychanalytique de faire exister l’inconscient comme unlangage (...) Ce “un langage” comme lequel l’inconscient est structuré n’est qu’un effet d’après-coup de la découverte de l’inconscient. Lacan le confirme, et va même plus loin lorsqu’il énonce :“Si j’ai dit que le langage est ce comme quoi l’inconscient est structuré, c’est bien parce que le langage, d’abord, ça n’existe pas”(…) Ainsi l’inconscient, comme savoir qui se déchiffre, s’articule-t-il de lalangue (…) Ainsi l’effet de sens produit par l’équivoque n’est pas tout, et comme J.A.Miller le souligne, l’interprétation psychanalytique a aussi , dans sa pointe, “effet de trou”.» [3]
Références
[1]Miller J.-A., « Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée et psychothérapie », La Cause freudienne n°48, mai 2001, p. 14.
[2]Miller J.-A., L'Orientation lacanienne II, 2008-2009, Choses de finesse en psychanalyse, Cours du 19 novembre 2008.
[3]Vinciguerra R.-P., « Lacan, le linguistique & la linguisterie », La Cause freudienne n° 79, 2011, p. 283-85.