Au-delà de l'Autre, le corps

Dossia Avdelidi

Une fois que le sujet a fini avec l’Autre, il se retrouve avec ce que Freud appelait les restes symptomatiques. Mais Jacques-Alain Miller nous explique que ces « restes » ce n’est que l’Un de la jouissance. Il s’agit de la jouissance comme événement de corps et qui constitue la véritable cause de la réalité psychique. C’est cette causalité qui se relie à la percussion du corps par le signifiant et à ce qu’il appelle le choc initial. Il s’agit de la rencontre contingente avec la jouissance, rencontre qui est toujours traumatique et qui implique le corps. 

Le symptôme du parlêtre alors, c’est un événement de corps, une émergence de jouissance. Cette jouissance se maintient au-delà de la résolution du désir. Il s’agit d’un reste que le sujet s’en accommode. 

Dès 1967 Lacan avait affirmé que l’Autre c’est le corps. Il dit alors dans La logique du fantasme que « le corps est fait pour inscrire quelque chose qu’on appelle la marque. Le corps est fait pour être marqué ». Et un peu plus loin il ajoute : « Quand cet Un[1] fait irruption au champ de l’Autre c’est-à-dire au niveau du corps, le corps tombe en morceaux, le corps morcelé, voilà ce que notre expérience nous démontre exister aux origines subjectives.[2] »

 Il a fallu sortir des méandres du désir de l’Autre avant que je puisse apercevoir cette dimension du corps. Pourtant, je parlais continuellement pendant les premières années de mon analyse du corps idéal que je n’avais pas, de la femme idéale que je n’étais pas, de la jalousie que j’éprouvais à l’endroit des femmes minces qui possédaient quelque chose que je n’avais pas. Tout cela était indubitablement lié au regard que l’Autre (et surtout l’Autre maternel) portait sur mon corps. Avec mon corps je provoquais le regard de l’Autre mais aussi j’y échappais. Mais, ce n’était qu’une approche par l’imaginaire. Ainsi, au début de l’analyse qui m’a conduit à la fin j’avais dit à l’analyste : « Je ne vais pas faire 3000 km pour vous parler de mon poids ». De ce fait, j’avais ignoré un rêve où l’analyste en se transformant en femme me donnait à manger. 

Il a fallu la traversée du fantasme pour retrouver ce qui a constitué traumatisme pour moi, donc rencontre avec la jouissance et qui a été à la racine de mon fantasme. Ce choc initial avait marqué pour toujours mon corps et mon style de jouissance. 

J’ai pris à l’envers le signifiant anorexique qui m’a été accordé par l’Autre en le transformant en appétit et surtout en appétit pour la vie. L’appétit pour tout ce qui est du côté de la vie me caractérise. Cette rencontre du signifiant et du corps a marqué pour toujours ma jouissance, une sorte de destin qui demeure même après la traversée du fantasme. C’est le reste de jouissance avec lequel le parlêtre est appelé à faire avec.


Références

[1] Dans ce passage le Un pour Lacan « représente l’acte sexuel au niveau du corps ».

[2] Lacan Jacques, Séminaire XIV, La logique du fantasme, inédit, séance du 10 mai 1967.