Il y a un corps

Peggy Papada

Le corps du stade du miroir se constitue à partir de sa forme scopique, celle perçue à travers l’Autre de la parole et du langage. En effet, la relation spéculaire trouve « son plus pur moment » [1] dans le mouvement par lequel l’enfant se retourne vers l’adulte et cherche le consentement de l’Autre pour « entériner la valeur de cette image ».[2] Le manque-à-être, qui deviendra une qualité du sujet divisé, est ici précipité : en effet dans la mesure où l’enfant est aliéné au désir de l’Autre, il se produit une discordance entre deux corps : le corps organique, réel et fragmenté, et le corps en tant qu’image spéculaire à laquelle l’enfant s’identifie.[3] L’identification à son image totale “authentifiée par l’Autre” entraîne une satisfaction[4]; le narcissisme freudien trouve ici sa référence.

Chez Lacan le corps sera lié à l’ego jusqu’à la fin de son enseignement : « l’idée de soi comme corps (...) est (...) ce que l’on appelle l’ego ».[5] Toutefois, dans le séminaire XXIII Lacan fera usage des nœuds et parlera de consistance. L’ego y est présenté comme tri-dimensionnel (réel, symbolique et imaginaire), irréductible donc à la dualité imaginaire. Le sujet ne s’identifie pas à son ego, qui peut se détacher, mais à son sinthome, à ce qu’il a de plus singulier. Le sinthome, en tant qu’appel à l’invention et à la sublimation, soutient la consistance du corps parlant. Il n’y a pas d’Autre à rechercher qui garantirait l’être et les identifications. Au lieu de cela, « Yadl’Un, il n’y a pas de rapport sexuel et il y a un corps »[6]. Le « il y a » se situe du côté de l’Un et de l’existence : or, la distinction entre être et existence met en jeu celle entre le sujet et le corps parlant[7]. On peut alors aborder le trauma comme séquelle de lalangue alors que le langage appareille l’Un du corps à l’Autre.

 

Traduction: Lorenzo Speroni


Références

[1] Lacan, J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » (1960), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 678. 

[2] Lacan, J., Le Séminaire, livre X, « L’angoisse » (1962-1963), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 42.

[3] Stevens, A., “Bodily Effects of Language”, argument du congrès 2021 de la NLS, disponible en ligne.

[4] Lacan, J., Le Séminaire, livre X, « L’angoisse » (1962-1963), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 49.

[5] Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIII, « Le sinthome » (1975-1976), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 150. 

[6] Stevens, A. “The Body in Psychoanalysis”, Séminaires 2020-2021 de la London Society de la NLS, via Zoom, prononcé le 10 octobre 2020, disponible en ligne. 

[7] Brousse, M.-H., « La lettre et le corps », Intervention aux 50ème Journées de l’École de la Cause Freudienne « Attentat Sexuel », via Zoom, Prononcé le 15 novembre 2020.


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