Strip-tease
Réginald Blanchet
Le premier effet corporel du langage, son effet constituant, c’est, peut-on dire, « le corps qu’on a », c’est-à-dire qu’on voile. Invariant civilisationnel le vêtement est le signe par excellence de l’humanité au même titre que le langage et l’interdit de l’inceste. L’habit fait l’être parlant : la nudité est impossible. La mise à nu elle-même est encore vêture, revêtement de voiles. En se dévoilant le corps parlant ne peut jamais que se voiler encore et toujours. Il ne peut être que nude, il n’est jamais naked. Que le nu soit celui de l’athlète, de l’invite érotique, de la réalisation artistique, de l’écologie naturiste ou de la gestuelle pornographique, il est en effet discours toujours. Marqueur social de sa condition de citoyen de plein exercice en Grèce antique la nudité intégrale de l’athlète dans la palestre est le costume qu’il revêt comme sa parure. Le corps nu ici est synonyme de corps dûment façonné. Il est vêtement taillé sur mesure à même la chair selon un patron précis. C’est la musculature, la stature et l’harmonie des formes du corps. Le nu est ainsi toujours et partout en quelque manière revêtement.
Mais se voilant le corps parlant se dévoile. Ce que cèle le vêtement est aussi ce qu’il donne à voir : qu’il exhibe lourdement ou insinue à peine. Le vêtement conduit le regard. Il l’appelle et l’interdit, le leurre ou le gratifie. Revêtement ultime du corps parlant la nudité est donc coextensive au regard. Elle est fonction de regard. Elle est en cela jouissance pulsionnelle de l’objet regard. Le corps parlant en effet n’a, à proprement parler, jamais affaire qu’à sa mise à nu, soit à la mise en jeu de son être-regardé. Destin comique, dira-t-on en somme, que celui du corps parlant pris dès l’origine dans le tournoiement de la « danse des sept voiles » que nous conte la mythologie et que reconduit sans manquer le strip-tease continuel auquel le soumet sa condition. Il y puise sa jouissance. Elle est pulsionnelle, soit précisément l’effet du dire dans le corps.