Éric Laurent : Extraits
ÉRIC LAURENT : EXTRAITS (1)
Par Daniel Roy
Concernant la question du corps, Éric Laurent, à partir de 2013, donne dans ses travaux un commentaire extrêmement précis de la lecture par Jacques-Alain Miller du dernier enseignement de Lacan qui met au premier plan la consistance réelle du corps comme corps qui se jouit, en la nouant à la consistance symbolique de lalangue et à la consistance imaginaire. C’est l’occasion de revisiter l’importance de l’hystérie, de son symptôme et de son identification, pour faire un pas au-delà « de l’horizon de l’amour du père ». Puis de suivre pas à pas le texte de Lacan « Joyce le symptôme » publié dans les Autres écrits.
Son article « Parler avec son symptôme, parler avec son corps », publié dans Quarto n° 105, paru en septembre 2013, trace pour nous des pistes essentielles, qui seront par la suite dépliées dans son séminaire à l’École de la Cause freudienne pendant l’année 2014-2015, dont on trouve l’enregistrement sur Radio Lacan (https://radiolacan.com/fr/topic/583/3).
Le texte de Quarto recueille l’intervention d’E. Laurent aux Journées d’ENAPOL[1] IV « Parler avec son corps : la crise des normes et l’agitation du réel ». En voici l’introduction :
« Le choix du titre indique une inquiétude et correspond à un fait. Les mots et les corps se séparent dans la disposition actuelle de l’Autre de la civilisation. (…) D’une part les normes ont plus de mal à faire rentrer les corps dans des usages standards par leur inscription forcée, machine infernale où le signifiant-maître installe ses disciplines de marquage et d’éducation. Les corps sont plutôt laissés à eux-mêmes, se marquant fébrilement de signes qui n’arrivent pas à leur donner consistance. D’autre part l’agitation du réel peut se lire comme une des conséquences de « la montée au zénith de l’objet a ». La mise au premier plan de l’exigence de jouissance plie les corps à une loi d’airain dont il faut suivre les conséquences.
Les corps semblent s’occuper d’eux-mêmes. Si quelque chose semble s’en emparer, c’est le langage de la biologie. Il opère sur le corps, le découpe en ses messages propres, ses messages sans équivoque qui ne sont pas ceux de la langue. Il produit des corps opérés, thérapeutisés ou génétiquement modifiés — nous serons tous des corps génétiquement modifiés dans peu de temps —, cosmétisés par ces découpages, réel dont l’efficacité a été soulignée par Jacques-Alain Miller dans son petit traité de « biologie lacanienne ».
La psychanalyse a saisi l’ajointement des mots et des corps par un biais précis, celui du symptôme. À partir du spectacle clinique de Charcot, Freud extrait le rébus de la formation du symptôme hystérique. Lacan peut dire : « Freud est arrivé à une époque où il a saisi qu’il n’y avait plus que le symptôme qui intéressait chacun », que tout ce qui avait été sagesse, façon de faire, voire même représentation sous le regard divin, tout cela s’éloignait ; il restait le symptôme en tan t qu’il interroge chacun dans ce qui vient déranger son corps. Ce symptôme, en tant qu’il est présence du signifiant de l’Autre en soi, est marquage, coupure. En ce lieu se produit le surgissement traumatique de la jouissance. Freud, à partir du symptôme hystérique, reconnaît la voie où s’impose le dérangement du corps qui vient, par les mots, redécouper, marquer, les voies par lesquelles la jouissance advient. Ce qui fait l’axe autour duquel tourne l’organisation du symptôme hystérique, c’est l’amour du père. C’est ce qui tient son corps toujours au bord de se défaire, c’est ce qui en fait « le manche », selon l’expression de Lacan. C’est précisément cela qui est en question dans notre époque. C’est pourquoi il nous faut concevoir le symptôme non pas à partir de la croyance au Nom-du-Père, mais à partir de l’effectivité de la pratique psychanalytique. Cette pratique obtient, par son maniement de la vérité, quelque chose qui touche au réel. Quelque chose résonne dans le corps, à partir du symbolique, et fait que le symptôme répond.
La question se posera pour nous : comment « parlent les corps » au-delà du symptôme hystérique, qui suppose à l’horizon l’amour du père » ? »
C’est ensuite son ouvrage L’envers de la biopolitique qui donnera à cet abord toute son ampliation. Ce sera le prochain texte d’orientation.
[1] Encuentro Americano de Psicoanálisis de la Orientación Lacaniana.